Je veux mieux que devant chanter une chanson
Sus les Nerfz de ma Lyre, avec le plus haut son
Qu'ell' sçauroit entonner, et faut que je l'accorde
Desus sa plus hautaine, et mieux parlante corde :
Car c'est bien peu, aussy le labeur n'est pas grand
D'une Ode, ou d'un Sonnet, qui plus haut n'entreprend.
La Lyre quelquefois sçait bien sonner une Hynne
Qui d'un Prince ou d'un Roy se pourra faire dinne :
Car ell' dit leurs combatz, leur proüesse, et vertus
Quand vaillamment ilz ont leurs ennemys vaincus.
Mes Odes, il faut donq' qu'à une hymne j'eschange,
Non d'un Prince ou d'un Roy pour chanter la louange,
Mais du vent Aquilon, car je n'ay entrepris
D'ainsi ravir l'honneur de sy doctes espris
Qui peuvent mieux que moy, c'est du froit vent Borée
Qui ardamment aima la fille d'Erychtée.
Or si le Cynthien me vient favoriser,
Et la Muse Eraton, me voyant composer,
Il faut qu'en leur honneur mon Hymne soit hardie
De se monstrer au jour, et que je la desdie
A plus digne que soy ; mais (helas) je ne sçay :
Si peu sçavant encor', j'en doy faire l'essay,
S n'est à cestuy-là, qui la jeune entreprise
Regarde d'un bon œuil, et qui la favorise.
Mon Seigneur, c’est à vous, bien qu’à vostre grandeur
Je ne doy’ pas offrir un sy petit labeur,
Mais prenez la ainsy qu’une petite offrande :
Reçoivent les hautz Dyeux, bien qu’ell’ ne soit si grande
Que leur Divinitez, toutefois de bon gré,
Reçoivent petitz dons dans leur temple sacré.
Mais en voulant chanter la fille Erychteene,
Je me suis souvenu de la gent Scythiene
Qui habite en la part, là où le soufflement
De ce vent Aquilon prend son commencement,
Qui s'en va recourbée en devotion grande,
Portant ses premiers fruitz, pour en faire une offrande
A leur Dieu Tymbrean. Ainsi à deux genoux,
Comme à mon Apollon m’adresse devant vous
Avec’humilité, en pincetant ma lyre
Qui sus sa haute Corde une Hymne vous vient dire
De Bore et d'Orithye, et comme fruit premier
De mes jeunes labeurs vous la vien' desdier.